Néo-beau-isme
(Quasi-manifeste d’une para-avant-garde)
Le moche et le vide accroissent chaque jour leur empire sur nos musées, nos galeries et nos festivals d’art contemporain. Ami de la beauté et de l’art, redresse la tête, reprends confiance, tu n’es pas seul. Aujourd’hui 14 juin 2019, nous lançons depuis Paris un appel solennel : après des dizaines d’années d’avant-gardes, de post-avant-gardes, d’innovations, de provocations et d’explorations techniques en tout genre, il est temps de retrouver le sens de la beauté !
Qu’est-ce que le beau ? Vaste programme… Il est en tout cas absent des productions nombrilistes, idiosyncrasiques, prétentieuses, ennuyeuses, alambiquées, sur-cryptées, sous-travaillées, archi-conceptualisées mais hypo-signifiantes, qui donnent du grain à moudre aux caqueteurs du monde de l’art et autres Docteurs es-vernissage. On oscille du laid au joli sans passer par le beau – incarnation saisissante et équilibrée d’une idée forte. Le nez collé à la fenêtre – du train de l’histoire –, nous voyons défiler marécages boueux, déserts caillouteux ou paisibles pâturages, mais rien (trop peu!) qui soit grandiose, jubilatoire, libératoire, affectivement et intellectuellement poignant.
En voulant « autonomiser » l’art, on l’a rendu vide (autoréférentiel) et dépendant : la « modernisation » s’est dégradée en muséalisation et féodalisme d’un nouveau genre. Auxiliaires d’institutions ou serviteurs de finalités diverses, les intermittents de la transgression n’ont jamais été aussi contraints que depuis qu’ils ont voulu s’affranchir de toutes les règles. Aussi vains, également, car à quoi bon un art politisé quand nous avons la politique ? Un art à thèse ou conceptuel quand nous avons la philosophie ? Un art voyeur et lubrique quand nous avons une sexualité ? Un art moqueur et comique quand nous avons l’humour ? Un art-témoin rendant compte d’on ne sait quelle réalité sociale ou écologique, quand nous avons des reporters et des savants ? Rendons à l’art sa fin propre, qui est de manifester un idéal ou une vérité quelconque de l’existence, pourvu qu’elle élève l’esprit et le cœur.
Nous voulons des œuvres moins hautaines mais qui haussent davantage. Le narcissisme bloque l’accès à l’authentique intimité, comme l’abus d’abstraction à l’universel bien compris. Artistes de tous les pays, mettez-vous au travail, car votre ego ne rend pas un jus exquis par simple pression ! Nous sommes lassés de vos finasseries qui consistent à pasticher, ironiser, jouer, déjouer, tromper, détromper, corriger, redresser, édifier, érotiser, désacraliser, déboulonner, détourner et finalement dérouter les regardeurs. La simplicité, l’honnêteté et la vérité – ou ne serait-ce que le bon sens –, telles sont les « fadaises » que l’on serait tenté de hisser au niveau des « règles de l’art ».
A force d’assimiler l’idée (juste) qu’une belle œuvre d’art n’est pas nécessairement une œuvre représentant une belle chose, on a fini par valoriser les œuvres repoussantes, négligées et futiles. Mais qui les voudrait dans son salon ? Et qui paierait volontiers plus d’impôts pour en avoir davantage dans les musées ? Questions vulgaires ? Mais oui, absolument ! Le Néobeauiste ne craint pas de passer pour un « plouc » et fait sien ce critère démocratique : Dans le salon ou à la cave ?
Anti-élitisme ? Oui et non. Anti-snobisme, à coup sûr. Si les bourgeois aiment la merde, vive l’art populaire ! Mais élitisme quand même, car nous avons justement besoin de raffinement et d’éducation du goût. Ce n’est pas le dernier des paradoxes de l’époque que le goût des experts en goût doive être rééduqué par des vendeurs de carte-postales – au jugement sommaire, mais souvent plus fiable. Si des artistes errants trouvent des collectionneurs fortunés (et non moins égarés), tant mieux pour eux, mais nous ne sommes pas obligés d’applaudir à la transaction. Quand des sans-jugement promeuvent des sans-talent, le Néobeauiste comprend le mécanisme sans l’approuver et, du fond de cette nuit où l’on offense la justice, lui, animal insomniaque et nyctalope, rassemble ses forces pour en rétablir le culte.
Anti-intellectualisme ? Oui et non. L’intellectualisme en art est un naufrage : on se perd dans le concept et l’œuvre devient vaine. Oui au discours qui enrichit l’appréciation ; non à celui qui s’use à justifier un art incapable de se défendre lui-même. Vous avez quelque chose à dire ? Dites-le avec des œuvres ou écrivez des traités, mais ne faites pas de ceux-ci les préfaces de celles-là. En outre, nous n’avons jamais eu davantage besoin d’intelligence – la grande absente des montreurs de concepts. Déclin intellectuel, esprits désorientés ou neurones employés d’une façon improductive, peu importe, le résultat est là : l’art d’élite n’est pas seulement (trop souvent!) pauvre émotionnellement, il est surtout indigent sur le terrain des « messages » qu’il voudrait « faire passer ».
Mais le dernier mot n’est pas dit et l’avenir dure longtemps. Puisque l’art qu’on nous montre n’est autre que celui que nous regardons, regardons-mieux ! Les cimaises, les socles et autres supports n’offrent que ce que nous produisons – produisons mieux ! A chacun selon ses moyens, sachant que l’effort de bien juger ne suppose aucune grâce particulière, et que pour entrer dans la résistance néobeauiste rien n’est requis que cet effort.
En un mot, nous, néobeauistes, voulons le beurre et l’argent du beurre, l’intelligence et la sensibilité, du plaisir (mais pas sans tête) et de quoi penser (mais pas sans corps). Bref, des beaux-arts. Nous demandons la libération des cimaises et le retour du beau dans les lieux consacrés, ainsi que la réquisition des caves pour le stockage des croûtes. Enfin, que l’art trop empesé retrouve un peu de naturel, et le trop frivole un peu de gravité. Ni plus, ni moins, que n’en contient ce Manifeste, dont le nom est une contradiction performative et l’objet une avant-garde d’arrière-garde.
Vincent Citot
Président (autoproclamé) du Néobeauisme
Le 14 juin 2019
Pour être membre du mouvement, il suffit d’adhérer aux principes de son para-manifeste, ainsi qu’à se devise : « L’art qu’on nous montre n’est autre que celui que nous regardons. Regardons-mieux ! ». Pour en être membre d’honneur, le plus simple est de « liker », de « partager » et de diffuser. La prochaine Assemblée Générale se tiendra dès qu’un certain quorum aura été atteint, et l’Appel du 14 Juin sera célébré tous les ans, le 14 juin.
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